Lames catalanes, âmes singulières
Quand l’artisanat s’invite chez les grands chefs
Graphiste devenu ébéniste avant de plonger dans la coutellerie, Cédric Garcia a fait de Perpignan le théâtre d’une aventure artisanale singulière. Bois chargés de mémoire, acier inox exigeant et coups de marteau devenus signature : ses couteaux s’invitent aujourd’hui chez les plus grands chefs, de Julien Hermida à Alain Ducasse.



Des bois qui se souviennent
“Je travaille des bois qui ont une histoire.” Pour Cédric Garcia, 38 ans, chaque manche raconte une vie antérieure : un amandier offert par un client, une douelle de barrique tachée de tanin, une tête de lit des années 1960 chinée en brocante, ou encore du morta, ce chêne noir fossilisé depuis 2 500 ans. Dans une démarche écoresponsable, la plupart des bois proviennent de dons ou de la récupération. À l’atelier, on croise aussi de nobles essences : olivier, noyer, chêne clair, ébène profond ou wengé dense et régulier. L’objet, dès lors, n’est pas qu’outil : il devient mémoire. Ébéniste de formation, l’artisan catalan a conservé de son premier métier le goût des veines et des fibres, qu’il fait désormais dialoguer avec la netteté d’une lame.



La marque du marteau
Coutelierdepuis2019, autodidacte formé par passion et par obstination, Cédric Garcia a commencé “avec une petite ponceuse et un four de bijoutier, dans sa cave”. Aujourd’hui encore, il garde cette obsession du geste brut, incarnée par sa signature : les coups de marteau laissés sur le dos des lames, révélés au ponçage. “Mes couteaux sont très influencés par le Japon. Mais les coups de marteau sur le dos, c’est devenu ma signature.” Les lames, façonnées dans un acier inoxydable français de haute qualité, sont pensées pour durer : résistantes, inoxydables, et sans entretien fastidieux. Un choix assumé : “Je veux faciliter la vie de mes clients”.

Choisir sa lame, choisir son moment
Sa réputation s’est forgée de bouche à oreille. Premier restaurant à lui faire confiance, une table perpignanaise lui commande 35 couteaux. Puis viendra l’expérience singulière chez Julien Hermida : quinze couteaux différents, disposés en salle, que les convives choisissent avant le repas comme on choisirait un vin. Depuis, ses lames voyagent et s’installent sur des tables aussi diverses qu’Ivresse à Bruxelles, Soif à Bordeaux, Galanga par Monsieur George, Sugaar ou NHOMe à Paris. Mais aussi chez Alain Ducasse. Un sésame qui confirme l’artisan dans sa voie : il a déjà façonné plusieurs milliers de pièces en six ans. Dans les cuisines, ses créations deviennent vite des partenaires de confiance. Comme le résume un chef : “Un bon couteau, c’est d’abord un couteau qui coupe ! (Rires) Mais surtout, c’est un objet avec lequel on se fabrique des souvenirs, au fil des plats et des années”.
Entretien : trois gestes, pas un de plus
Ses couteaux sont conçus pour durer. À condition de les respecter. “Jamais au lave-vaisselle: les produits bousillent le fil et le bois.” La règle est simple: rinçage à l’éponge, essuyage immédiat, un peu d’huile de lin ou d’olive de temps à autre. Pour les clients les plus proches, l’artisan propose même un retour à l’atelier pour ré-affûtage.



Le Damas en ligne de mire
Alors qu’il est aujourd’hui installé dans son atelier de Perpignan, son rêve serait de passer à l’étape suivante : le Damas, cet acier aux motifs ondoyants, fruit de superpositions et de forges répétées. “Le Damas, j’en rêve ; mais il me faut des machines de trois tonnes que je ne peux pas installer ici. Et puis il faut une semaine de travail pour un couteau. Je ne peux pas laisser de côté mon activité et mes commandes. Il me faudrait déménager, avoir un collaborateur à mes côtés, pour partager la charge et prolonger l’aventure.” Affaire à suivre donc. Mais ce qui est sûr, c’est que derrière chaque lame, il revendique la même ambition : offrir un objet à vie, pensé pour se transmettre, et qui garde au fil des années la patine des souvenirs.


























