Questionnaire épicurien avec Hermeline Malherbe et Florent Martin

0
3639

Hermeline Malherbe et Florent Martin : Entre terroir, transmission et avenir

Dans les Pyrénées-Orientales, la gastronomie n’est pas seulement une affaire de plats, mais un héritage vivant qui mêle terroir, formation et transmission. Hermeline Malherbe, présidente du Département, et Florent Martin, proviseur du lycée Christian Bourquin d’Argelès, livrent pour Toques Blanches Magazine une réflexion croisée sur ce patrimoine culinaire en mouvement.

Il y a des départs d’entretien qui ressemblent à des évidences. Celui-ci s’est ouvert sur une question institutionnelle de Madame Malherbe, présidente du département des Pyrénées-Orientales : pourquoi parler d’un lycée, alors que les lycées relèvent de la Région ? “Parce que le lycée Christian Bourquin fête ses dix ans”, répond Jean Plouzennec, Président de l’association des Toques Blanches du Roussillon.

Et parce qu’il partage, avec le restaurant La Passerelle, un lieu emblématique de la ville de Perpignan, un anniversaire symbolique. Dix ans pour le premier, cinquante ans pour le second : deux étapes, deux générations, un même territoire à mettre en lumière.

Le goût du pays catalan

Difficile pourtant, pour Hermeline Malherbe, de réduire ce territoire à un plat unique. “Nous sommes l’un des premiers départements de France en agriculture biologique. On a des fruits, des légumes, des viandes de qualité. Au-delà du bio, c’est vraiment la fraîcheur et l’attention des producteurs qui comptent.” Son premier souvenir culinaire catalan ? Une cargolade découverte par hasard, en visite privée, bien avant d’habiter la région. “J’ai adoré ce moment, ce goût, cette convivialité.” Suivront l’escalivada, les anchois de Collioure, loin des versions trop salées des pizzas de son enfance, et la truffe fraîche du Canigou. Autant de révélations. Pour elle, le fil conducteur est clair : “La culture du frais, du bon, de la diversité. On sent l’amour du produit à travers le travail de ceux qui le cultivent”. Cette passion du terroir, le lycée Christian Bourquin la traduit dans ses formations. Florent Martin, son proviseur, insiste : “La difficulté, c’est de faire comprendre aux jeunes qu’une carotte n’est pas une carotte, qu’il en existe différentes variétés. Nos enseignants sélectionnent leurs fournisseurs, ils expliquent la provenance, la spécificité de chaque produit. C’est un apprentissage de précision et de respect”.

Former des professionnels, transmettre une conscience

Le lycée, spécialisé dans les métiers de bouche et de l’hôtellerie, fonctionne comme un véritable laboratoire de transmission. “Les jeunes arrivent souvent sans culture culinaire particulière, parfois sans conscience de la richesse qui les entoure”, poursuit Florent Martin. “La formation les transforme : ils apprennent non seulement les gestes, mais aussi le respect du produit, la lutte contre le gaspillage, l’importance du local.” La présidente du Département précise combien “bienmanger, pour des enfants, c’estfondamental”. Elle souligne le rôle de la restauration scolaire et des cuisines centrales pour mettre en avant les produits locaux, et insiste sur l’importance de “faire intervenir les producteurs dans les collèges” afin que les élèves “puissent rencontrer le producteur et partager le goût de son produit”. L’idée n’est pas seulement de former des techniciens, mais de créer des citoyens du goût, sensibles aux enjeux environnementaux et patrimoniaux. “C’est primordial, car ces collégiens sont les futurs élèves des lycées hôteliers”, insiste Hermeline Malherbe.

La table comme lieu de mémoire et de partage

“Qu’apprend-on à table que l’on n’apprend nulle part ailleurs ?” La réponse fuse : le partage. Hermeline Malherbe raconte les tablées familiales, ces repas de dimanche où l’on échange autant que l’on mange. “Ce n’est pas forcément le plus sain, car on parle beaucoup en mangeant, sourit-elle, mais c’est ce qui fait la convivialité française.” Pour Florent Martin, la table est un outil pédagogique. “Dans nos formations, elle devient un lieu de transmission. On n’y partage pas seulement des goûts, maiségalement des émotions, des idées, des impressions. Et surtout, on apprend la générosité.” C’est là que se joue le défi majeur : réintroduire chez les jeunes générations une culture de la convivialité qui s’effrite. “Dans beaucoup de familles, on ne mange plus ensemble. Notre rôle est de recréer ces moments.”

Une passion en mouvement

L’entretien dresse aussiunconstat : la gastronomie est un métier passion, mais un métier exigeant. “Ce sont des professions où l’on ne s’ennuie jamais, mais qui demandent des équilibres personnels, reconnaît Florent Martin. L’emploi est assuré, les conditions se sont améliorées, et surtout, c’est un univers où tout change. La cuisine, aujourd’hui, ce n’est plus un cuisinier enfermé dans son atelier : c’est un dialogue constant avec le client.” Hermeline Malherbe résume en une formule : “Faire plaisir en se faisant plaisir”. Elle insiste sur la nécessité de la passion, mais aussi sur l’importance de douter : “Le doute fait progresser”. Cette capacité à inventer, à se réinventer, est au cœur du métier. “Je me souviens d’un restaurant où l’on m’a servi une betterave déclinée sous quatre formes différentes. C’est un produit de base, peu cher, mais le travail qui avait été réalisé dessus était extraordinaire. C’est toute la magie de la cuisine : sublimer la simplicité,” “Les grands chefs ne cessent jamais de chercher, de tester, de remettre en cause ce qu’ils savent déjà”, rappelle Florent Martin. “On peut sublimer un produit modeste, et en faire une expérience unique. C’est cette créativité que nous voulons transmettre.”

Soutenir les filières, valoriser les produits L’entretien revient enfin sur l’importance du soutien aux producteurs et aux restaurateurs. Pas seulement en subventions, mais en visibilité et en valorisation. “Le Salon de l’Agriculture est une vitrine, explique Hermeline Malherbe. Cette année, nous y sommes allés collectivement, producteurs, éleveurs, élus. C’était une première réussie.”

Ce travail collectif s’inscrit dans un contexte de défis, notamment climatiques. Canicules, rendements fragilisés, adaptation nécessaire des cultures : le Département doit accompagner ses filières. “Nos vins, nos fruits, nos légumes subissent de plein fouet le réchauffement, rappelle la présidente. Mais c’est aussi un moteur pour innover, pour trouver de nouvelles voies.”

Entre terroir et avenir

Au fil de l’échange, une conviction se dessine : la gastronomie catalane est à la fois un héritage et un chantier en mouvement. Héritage, parce qu’elle s’appuie sur des traditions vivantes et sur un savoir-faire transmis de génération en génération. Chantier, parce qu’elle doit s’adapter aux mutations sociales et climatiques, et inventer sans cesse de nouvelles formes. C’est là que le rôle des institutions rejoint celui des écoles : former des jeunes capables de conjuguer respect du produit, sens du partage et créativité. “Quand ils quittent le lycée, ils n’en sont qu’au début de l’histoire”, conclut Florent Martin. Une histoire où l’on apprend que la gastronomie n’est jamais figée, mais se réinvente chaque jour, à la table des familles comme dans les cuisines professionnelles.