Natif de Perpignan, le chef triplement étoilé Paul Pairet vient d’arrêter son établissement Ultraviolet situé à Shanghai. Il y conserve Mr & Mrs Bund, une brasserie française moderne, et Polux, un café-bistro à la française. Il est également présent à Paris où Nonos & Comestibles, ouvert en janvier 2023, a marqué le retour du Chef en France pour la première fois depuis les années 2000. Un grill dynamique au sein de l’emblématique Hôtel de Crillon, un restaurant pensé comme une salle à manger citadine et pleine de vie. Rencontre pour Toques Blanches Magazine avec le talentueux et célèbre jury de “ Top Chef”!
Né et formé en France, Paul Pairet a commencé à faire parler de lui en 1998 au Café Mosaïc à Paris, où les influences de sa carrière itinérante se sont cristallisées dans un style français bien à lui. Paul a parcouru le monde – Paris, Hong Kong, Sydney, Jakarta et Istanbul –, avant d’atterrir à Shanghai en 2005 pour ouvrir Jade on 36, restaurant étendard de l’hôtel Shangri-La.
En trois ans, il s’y est forgé une réputation internationale, a fait parler de lui et a collectionné les distinctions. Soutenu par VOL Group, il ouvre son premier projet en avril 2009 : une brasserie française moderne, Mr & Mrs Bund. Il y définit un concept populaire dans la veine des restaurants chinois, basé sur le partage de plats classiques. Un prisme français bien à la manière du Chef : né en France, sans frontières, marqué du sceau de ses voyages, et obstinément perfectionniste.
En 2013, Mr & Mrs Bund devient alors le premier restaurant en Chine continentale à entrer dans la liste The World’s 50 Best Restaurants. En lançant Ultraviolet, le projet d’une vie, en mai 2012, Paul Pairet a mis en avant le meilleur de sa cuisine d’auteur. Concept qu’il a imaginé depuis 1996, Ultraviolet était le premier restaurant au monde de cette nature, mettant en lien les plats et la technologie multisensorielle pour créer une expérience culinaire complètement immersive. Il a souvent été décrit comme “le plus avant-gardiste des restaurants au monde”, chaque plat y était sublimé par une atmosphère sur mesure propre à chaque saveur. Une expérience unique distinguée par trois étoiles Michelin depuis 2017 jusqu’à ce jour. Après avoir été nommé Restaurateur de l’Année en 2018, Paul Pairet a été classé dans la liste Vanity Fair des 50 Français les plus influents du monde en 2019. Le 29 mars dernier, il a été décoré, par l’entremise de son ami Philippe Etchebest, de la prestigieuse distinction de Chevalier de la Légion d’honneur.
TBRO : Votre parcours est impressionnant et atypique. Pouvez-vous revenir sur vos débuts et sur les grandes étapes qui ont marqué votre chemin jusqu’à aujourd’hui ?
Paul Pairet : Si je fais dans les grandes lignes : à un moment donné, on se demande tous quand on est jeune – je vois ça aussi chez mon fils – : Qu’est-ce que je vais faire plus tard ? Je ne dirais pas que je savais exactement ce que je voulais faire, mais en fonction de mes centres d’intérêt, je me suis dit : je vais en faire un métier. J’en avais trois : la photographie, le sport et la cuisine. C’est finalement vers le lycée hôtelier de Toulouse que je suis allé, sans regrets aujourd’hui ! D’ailleurs, je trouve qu’on ne rend pas assez hommage aux personnes qui vous ont transmis la passion du métier, et qui vous ont aussi structuré. Me concernant, j’ai eu la chance d’avoir un professeur exceptionnel, avec lequel je suis resté en contact par la suite. Après quelques péripéties, je suis parti à Paris. On peut dire que je me suis formé de manière assez classique, comme beaucoup de jeunes qui effectuent leur parcours initiatique.
Et finalement, j’ai pris ma première position de Chef dans un petit restaurant qui s’appelait La Table d’Harmonie, et j’ai fait de la formation aussi. Ces trois années m’ont beaucoup apporté techniquement. En sortant de là, j’avais une très grande maîtrise de choses qui, à l’époque – je parle des années 1980 –, n’étaient pas aussi bien soignées qu’aujourd’hui. Et après, ce qui va définir l’essentiel de la carrière à venir, c’est ce qui se passe en Chine, et ailleurs. Et cela reste très cosmopolite.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez eu envie de tenter l’aventure internationale ? Est-ce que c’était pour aller chercher quelque chose en termes de cuisine, de techniques ? Ou plutôt une aventure personnelle, une envie de découvrir le monde ?
En tant que Français, on sous-estime parfois la richesse que le voyage peut apporter, surtout quand on n’a pas beaucoup voyagé plus jeune. Il y a une intensité dans le travail, dans ce que l’on peut donner, que l’on ne soupçonne pas. En Australie, par exemple, il y avait une énergie que l’on ne peut pas imaginer sans y aller. Toutes ces expériences m’ont amené à un moment où l’on pouvait vraiment tenter quelque chose de grande envergure, à l’échelle internationale. C’est là qu’Ultraviolet est né, avec une volonté de se positionner autrement. C’était une expérience globale, avant-gardiste… franchement, Ultraviolet, c’était hyper ambitieux.
Et alors du coup, Ultraviolet, l’aventure est terminée…
Oui, j’ai arrêté Ultraviolet récemment. Je n’ai pas vraiment eu le choix. On s’est retrouvés dans un contexte difficile à Shanghai avec de nombreux travaux tout autour. Ils ont essayé de me préserver un peu, à la manière d’un village gaulois, mais il n’y avait plus de gaz, plus rien… Il y avait cette parenthèse forcée de quelques mois. Ultraviolet n’a jamais été un projet purement commercial, même s’il a toujours été équilibré économiquement — avec quatre mois de réservation à l’avance. Ce n’est pas ça le sujet. Mais il faut aussi savoir, à certains moments, s’arrêter. Et je pense que c’était le bon moment.
Et puis, je refusais de faire Ultraviolet si ce n’était pas dans des conditions optimales. À partir de là, il vaut mieux s’arrêter plutôt que d’en faire un lieu d’image, une vitrine à trois étoiles pour alimenter autre chose.
Est-ce une étape dans votre carrière ?
Oui, c’est une étape. Et c’est la bonne. En tout cas, pour l’instant, je n’ai plus l’intention de créer de restaurants gastronomiques.
Et si, dans tout ce parcours, vous deviez retenir un moment marquant ? Un moment vraiment déterminant, avec une personne ou un projet ? Quel serait ce moment que vous garderiez, et que vous voudriez partager avec nous ?
C’est à la fois compliqué et très simple : ce serait l’ouverture d’Ultraviolet. La toute première table que l’on a servie. C’était ma plus grande émotion culinaire. Après un an et demi de travaux…
Le jour de l’ouverture, on était concentrés en cuisine, on avait beaucoup répété, mais on n’avait jamais vraiment servi pour de vrai. Juste quelques essais entre nous. Et seulement quinze jours avant, on a trouvé le bon équilibre : que le son, les lumières, ne quittent jamais vraiment l’ensemble de l’expérience. Et tout restait fluide. Ce premier service était magnifique. Tout était calé à la seconde près. Toutes les équipes étaient ultra-concentrées. À chaque fois que j’en parle, j’ai la chair de poule. Vous voyez, même là. C’était un moment très fort, probablement le plus fort de ma carrière. Et je pense qu’il n’y aura pas d’équivalent.
Et aujourd’hui, quel lien avez-vous conservé avec vos racines ? Vos racines catalanes, avec Perpignan ?
Je crois que… avec l’âge — je n’aime pas dire “vieillir” —, disons, en grandissant, on se rapproche de ses racines. Je suis d’une génération de Catalans, de vrais Catalans, très attachés à ça. Et la cuisine, dans ma famille, a toujours été centrale. Quand on parle de nourriture, tous les curseurs du goût — cette force catalane, les vinaigres, les assaisonnements, cette profondeur —, tous ces éléments ont toujours sous-tendu ce que je fais en cuisine.
Auriez-vous envie de travailler à nouveau dans la région ?
Peut-être, oui. Il faudrait juste qu’une opportunité corresponde. Cela a toujours été quelque chose un peu en suspens… l’idée qu’un jour, on pourrait monter une affaire ici. Mais si cela arrive, ce sera parce que j’en ai vraiment envie. Et aujourd’hui, ma volonté, ce n’est plus nécessairement de refaire quelque chose de très classique, très formel. Ce serait plus une baraque sur la plage, quelque chose de simple, de saisonnier… Cela fait aussi partie de mes envies, de mes projets.
Mais on se pose une question : quand on a eu trois étoiles au Michelin, comment arrive-t-on encore à faire simple ? Est-ce que, finalement, ce n’est pas ça le plus compliqué : faire simple ?
Ah, c’est une très bonne question. Mais en fait, on peut faire simple, même avec trois étoiles. Ce n’est pas parce que l’assiette est épurée que le cheminement de l’idée ne l’est pas. Finalement, je passe plus de temps à enlever qu’à ajouter. Je n’ai jamais cru aux expériences gastronomiques trop alambiquées, trop complexes, avec des éléments dans tous les sens. Ça ne m’intéresse pas. Sur le plan technique, sur les textures ou les saveurs, je préfère qu’il y ait peu de choses… pour que l’on se concentre sur l’essentiel, que ça puisse s’exprimer pleinement. Même quand on prépare un petit café ou un plat très simple, il y a là-dedans une forme de justesse.
Sans transition… Il y a un livre qui vient de sortir : Violences en cuisine – Une omerta à la française. Il commence à faire parler de lui. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? Est-ce que vous vous sentez concerné ?
Je pense que tous les Chefs, tous les gens dans ce métier peuvent se sentir concernés. Mais il faut faire attention à ne pas stigmatiser toute une profession pour les agissements de quelques individus. Je comprends qu’on veuille dénoncer, qu’on veuille prévenir — c’est important —, mais il ne faut pas non plus créer une espèce d’amalgame. Je lirai le livre, bien sûr. Mais ça me dérange toujours un peu que l’on tire des généralités à partir de quelques comportements inacceptables — parce que oui, ces comportements sont inacceptables. Mais est-ce que, pour autant, ça doit devenir l’image de toute une profession ? Je ne crois pas. Peut-être que c’est un métier un peu plus dur que d’autres, et qu’on en parle plus facilement. Il y a quand même beaucoup de cuisines où il y a surtout des professionnels passionnés, qui exercent un métier qu’ils adorent, avec passion. Il faut aussi penser à mettre cela en avant. C’est ce que l’on fait d’ailleurs avec “Top Chef”, qui est une émission télévisuelle — alors oui, c’est un divertissement — mais je trouve que c’est une bonne émission parce qu’elle met ça en valeur, et c’est très important.
Dernière question, et je vous libérerai en vous remerciant pour ce temps que vous nous avez consacré. Si vous aviez la possibilité d’inviter ce soir au restaurant une personne de votre choix, célèbre ou non, disparue ou vivante, laquelle inviteriez-vous ?
J’aurais pu dire mon père, mais ce serait triste… Alors je vais vous dire autre chose… Mon père n’a pas vraiment connu l’avènement de ma carrière, donc cela me ferait plaisir de partager ça avec lui. On pourrait dire les choses ainsi.
Après, pour quelque chose d’un peu plus léger, je ne choisirais pas qu’une seule personne. Ça me gênerait. Je prendrais plutôt un groupe : disons Auguste Escoffier, Jacques Maximin et Antonin Carême. Je crois que chacun nous raconterait tellement… C’est un manque à combler, un vide à remplir. Mais ce serait extraordinaire de croiser ces êtres qui ont eu une influence essentielle sur notre métier.