Depuis 1921, Banyuls-sur-Mer brille d’un éclat millésimé. Ici, certains vins ne vieillissent pas : ils s’élèvent. Depuis plus d’un siècle, la Cave L’Étoile perpétue un savoir-faire artisanal, ancestral, et furieusement vivant.
L’étoile comme constellation d’hommes
Tout commence en 1921. Douze vignerons idéalistes, cinq grandes familles, et un pari un peu fou : tout mettre en commun. Les vignes, les outils, le vin, et même – dit-on – les haricots. Un acte de foi et de révolte, dans la lignée des soulèvements viticoles du début du XXe siècle. Ensemble, ils bâtissent une cave, “non pas pour écouler le vin, mais pour retrouver le client”, explique Jean-Pierre Centène, descendant des fondateurs et président actuel. Dès les premières années, la cave compte une trentaine de représentants sillonnant la France. Objectif ? Circuit court. Avant même que le mot n’existe.
Une coopérative habitée, au sens propre
Aujourd’hui encore, la grande majorité des 120 coopérateurs sont des descendants de ces pionniers. Très peu vivent du vin. “Peut-être cinq ou six”, souffle Jean-Pierre Centène. “Les autres sont des retraités, des héritiers, ou simplement des passionnés.” Certains ne possèdent qu’une vigne pour l’amour du geste, de la terre et des ancêtres. Mais tous comptent. “On a besoin de tout le monde”, insiste-t-il. Dans cette coopérative à taille humaine, chaque cuve porte le nom d’un fondateur, comme une stèle dédiée à la mémoire. Et dans une cave souterraine restée dans son jus depuis 1921, on peut encore croiser le regard sépia du premier président, M. Pi.
Un vignoble comme un escalier céleste
Ici, les vignes poussent en terrasses, accrochées à la roche, soutenues par plus de 6 000 km de murettes en schiste. Une architecture millénaire héritée des Romains, où l’eau s’écoule sans raviner, guidée par des canaux. “J’ai vu des vignerons tracer ces lignes à la main, juste avec un roseau et une ficelle”, raconte Jean-Pierre Centène, admiratif. Pas de laser, pas de GPS, juste l’œil, l’intuition et la mémoire. Ce paysage spectaculaire, sculpté par l’homme, est aujourd’hui menacé : 50 hectares partent en friche chaque année. Pour lutter contre l’abandon, la cave a fondé un groupement foncier : Les Amis de l’Étoile. 125 investisseurs, des parcelles sauvées, et un peu de poésie dans la comptabilité.
Un travail de moines, un vin de seigneurs
La vigne est ici cultivée à la main, sur des pentes si raides qu’aucune machine ne passe. “On n’a pas de tracteur, pas de camion, rien. Bilan carbone : imbattable”, glisse-t-il, mi-sérieux mi-fier. La vinification, elle, se fait avec la lenteur des sages. Les jeunes cuvées mûrissent en cuves béton, les plus ambitieuses entament un périple initiatique : foudres centenaires, barriques de Cognac, solarium à ciel ouvert où les rouges se décolorent sous le soleil. “Au bout de deux ans, ils deviennent presque blancs”, dit-il. Ce sont les doux paillés, cuvées rares qui fascinent jusqu’aux sommeliers parisiens. Certains connaissent le vin, mais ignorent encore l’Étoile. Tristesse.
La part des anges, et celle des hommes
Dans les chais, chaque barrique est une bibliothèque aromatique. “Une seule barrique peut voir passer cinquante cuvées différentes”, raconte Jean-Pierre Centène. La sélection des grands crus relève presque de l’alchimie : analyses biologiques, dégustations, flair et patience. L’œnologue maison suit chaque barrique comme on élèverait un enfant. Puis vient le moment du choix, du basculement dans les petites barriques ou les dames-jeannes. Et toujours, cette perte silencieuse mais nécessaire : la part des anges. “4 à 5 % d’évaporation par an. À force, il ne reste plus grand-chose. Mais ce qu’il reste, c’est l’essence.”
Un vin qui s’apprend en marchant
L’Étoile est une cave d’artisanat. Elle produit peu, mais bien. Elle est surtout le premier producteur de Banyuls Grand Cru, malgré sa taille modeste. Un paradoxe qui tient à son histoire, à la rigueur, et à une vision claire. “On garde le modèle des fondateurs. La vente directe, la qualité, la fidélité à un terroir”, résume Jean-Pierre Centène. Cela ne veut pas dire se figer : la cave multiplie les initiatives gastronomiques (repas accords mets-vins, dégustations thématiques), les partenariats avec les chefs (notamment avec les Toques Blanches), les circuits courts… et même les ventes aux enchères. Une bouteille de 1920 s’y est envolée à 1 500 €.
Les jeunes préfèrent le vin jeune
La cave ne vit pas sur ses lauriers. “Beaucoup de jeunes préfèrent un vin de six mois à un vin de trente ans. Alors on s’adapte.” Les cuvées Rimage, plus fraîches, les Banyuls blancs, très en vogue auprès des Allemands ou des Belges, permettent de tendre des ponts générationnels. On éduque les papilles, sans jamais trahir l’âme du vin. Et pour le Collioure blanc – six médailles d’or en un an –, c’est même la ruée. “En avril, il n’y en a déjà plus”, plaisante- t-il. Voilà comment L’Étoile continue de briller : en acceptant que l’avenir ait parfois le goût du présent.
Un trésor pas reconstituable
Chaque année, la cave produit 200 000 bouteilles. “Et on fait 90 % de notre chiffre en bouteilles”, précise le président. Une performance pour une coopérative de cette taille. Mais au fond, l’essentiel n’est pas là. Ce que défend L’Étoile, c’est une vision du vin comme mémoire vivante. “Ce n’est pas reconstituable. Il y en a, et après, il n’y en a plus.” À l’heure où les algorithmes calculent les rendements et où les vignes s’alignent à la demande, cela a quelque chose de terriblement précieux.
CAVE L’ÉTOILE
26, avenue du Puig del Mas 66650 Banyuls-sur-Mer
contact@banyuls-etoile.com
www.banyuls-etoile.com