Patrimoine : Banyuls-sur-Mer Entre mer, vin et mémoire

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Blottie entre les derniers contreforts des Pyrénées et la Méditerranée, Banyuls-sur-Mer cultive une identité singulière, entre vignes vertigineuses, patrimoine catalan et passion du goût. Un art de vivre enraciné dans la terre, le vin, la mer et la mémoire. Rencontre avec son maire, Jean-Michel Solé, amoureux du goût, du patrimoine et des gestes durables.

Le goût d’un territoire

“Ici, on a toujours eu trois métiers : vigneron, marin, cuisinier.” Jean-Michel Solé plante le décor avec l’accent de ceux qui ont roulé leur jeunesse entre les vignes et les fourneaux. Car à Banyuls, l’identité se cuisine, se boit, se raconte – mais ne s’invente pas. Elle se transmet, comme un secret un peu râpeux, toujours sur le fil du vent et du sel. L’ancien chef et vigneron devenu maire défend une cuisine profondément méditerranéenne, ancrée dans les saisons et les traditions : poissons grillés, viandes mijotées, vinaigres de Banyuls, rancio pour déglacer sans sucre et sans tricher. “C’est un pays à dénicher, un pays qui demande du temps, mais qui vous le rend”, confie-t-il.

Le vignoble suspendu

“Quand les Romains sont arrivés ici, les vignes y étaient déjà. En terrasses. Comme aujourd’hui.” À la Cave L’Étoile, Jean-Pierre Centène garde la mémoire vive. Son vignoble millénaire, sculpté à flanc de montagne, est tenu par des murettes de pierre sèche qui guident la pluie comme une partition. “Certains vignerons font ça à l’œil, avec un roseau et une ficelle. Juste l’expérience.” Une science douce, en voie de disparition. Cette beauté fragile vacille. “On perd 50 hectares par an.” Pour contrer l’abandon, un groupement foncier a vu le jour : Les Amis de l’Étoile. Objectif : racheter et sauver les parcelles délaissées. 700 000 euros ont été levés, 125 investisseurs mobilisés. “Ce n’est pas pour autant qu’on est riches. Mais au moins, on garde nos terres. “

Une viticulture à mains nues

Ici, pas de tracteur. Pas de machine. Tout se fait à la sueur. “Une vigne à 40 %, tu la cultives avec ton dos”, glisse Jean-Pierre Centène, mi-fier, mi- fataliste. Ce geste brut est devenu leur force. “On est imbattables sur le bilan carbone.” La pente est rude, mais l’éthique estbelle. Et chaque grappe porte l’écho d’un millésime ancien. “Ce vignoble n’est pas mécanisable, confirme le maire. Pour vendanger un hectare, il faut dix personnes. Mais cette contrainte devient une force.” Une viticulture manuelle, artisanale, qui se fait avec le dos autant qu’avec le cœur. “On vit une agriculture d’abnégation.”

Le Mas Reig : la vigne comme école de vie

Et puis, il y ac eux qui en font une vocation. Perchéau- dessus de la ville, au milieu des vignes en terrasse, le Mas Reig veille depuis le XIIIe siècle sur Banyuls. Sa silhouette trapue de mas fortifié, autrefois foulée par les rois de Majorque et les Templiers, abrite aujourd’hui un haut lieu de transmission : le Campus Banyuls. Restauré grâce à un projet européen ambitieux, ce centre de formation conjugue histoire, vin et avenir. Dans les salles connectées comme dans la cave d’application, on forme ici des sommeliers, des experts de la vente de vin, des pros de l’œnotourisme. Du certificat de spécialisation à la reconversion express, l’objectif est simple : faire grandir les savoir-faire en les ancrant dans la terre. Et sur les terrasses du campus, on déguste la leçon autant que le vin.

La fête, le goût, la mer

Pour valoriser ce patrimoine exigeant, Banyuls s’invente en scène gourmande. La fête des Vendanges, organisée avec le syndicat du cru et les Toques Blanches, rassemble vignerons, chefs, lycéens et curieux sur l’Esplanade. “C’est une fête du goût, mais aussi de la transmission. Les anciens chefs reviennent, donnent de leur temps, forment les jeunes. C’est ce que j’appelle un vrai patrimoine vivant.”
Mais les plaisirs de la table ne se cantonnent pas aux quais. Le vignoble catalan aime aussi se parcourir à pied, verre au poignet sourire en coin. Chaque année, les Vignerons sur Mer, collectif passionné, organisent Les Caminades, une balade œnologique au cœur du vignoble de la Côte Vermeille. Le 22 juin 2025, autour de Cerbère, le parcours mènera les gourmands du maquis à la mer, entre vignes suspendues et vues à couper le souffle. À chaque halte : un vigneron, un chef, un accord parfait. Ici, le vin ne se boit pas seulement : il se marche, se vit, se partage. Fidèle, curieux, conquis, le public répond présent.

La mer comme sanctuaire

Le patrimoine, ici, ne s’arrête pas à la bouteille. À l’autre bout du spectre, Banyuls s’enracine aussi dans la mer, au sens scientifique du terme. Le Laboratoire Arago, antenne de Sorbonne Université, explore la biodiversité marine depuis cent ans. Recherche, pédagogie, sensibilisation : la science sort de sa tour et descend jusqu’au port. Un aquarium recrée les fonds marins de la baie. Des partenariats naissent, comme avec Plastic at Sea contre la pollution plastique. “On a la plus ancienne réserve marine de France. Elle a 50 ans. Elle déborde de vie. Les mérous y sont revenus. Il y en avait trois, il y en a 600.” Et ce succès attire… peut-être trop. “L’idée d’agrandir la réserve a aussi pour objectif d’éviter la saturation de certains spots.”

Une rivière redevenue rivière

Le maire sourit en évoquant son plus beau combat : renaturer la rivière qui, jadis, servait de parking. “Un projet à 1,2 million. Il a fallu convaincre. On a déplacé les voitures. Replanté des essences d’origine. On a vu revenir les canards, les ragondins, les poules d’eau… La vie. Et maintenant, les gens s’arrêtent pour prendre des photos.”

La chapelle blanche

Tout comme ils s’arrêtent, le souffle suspendu, devant ce point blanc qui scintille là-haut, sur la colline. La chapelle Notre-Dame de la Salette, construite en 1863 par Bonaventure Reig, trône au sommet d’un chemin bordé de chênes-lièges et de vignes. Accessible à pied ou en voiture, elle offre
un panorama imprenable sur Banyuls et la Côte Vermeille. Lieu de silence, de lumière et de mémoire, elle veille sur la ville comme une prière murmurée.

L’ambition tranquille

Banyuls n’a pas la prétention des grandes. Elle préfère sa douceur, ses 80 associations, sa catalanité joyeuse. “Je n’ai pas d’ambition. J’ai une vision. Celle d’une ville qui protège ses traditions, tout en avançant.” Pas de tourisme de masse, pas de ville figée. Le front de mer est refait, la ville classée Site Patrimonial Remarquable.

L’art en partage : Maillol en vigie

Banyuls est la ville de Maillol, sculpteur à l’origine de la modernité douce. “On a un musée, des œuvres en plein air. J’ai acheté des sculptures, certains m’ont traité de fou. Moi, je crois qu’on ne jette pas l’argent par les fenêtres quand on restaure la mémoire. La vraie question, c’est : quelle ville veut-on laisser aux générations futures ? Banyuls doit rester humaine, belle, engagée. Et toujours libre.”