Arts de la table : Cédric Le Gall, sublimer l’instant, l’art de recevoir comme une vocation

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Il a la passion au bout des doigts et la discrétion en bandoulière : Cédric Le Gall, Président Directeur Général de la SAS Pôle EXTRA, manie l’art de la table comme un magicien du bonheur. Rencontre avec c e maître d’hôtel qui se dévoue à embellir vos plus beaux moments.

“Pour moi, la gourmandise est le plus beau des péchés” commence-t-il, un sourire presque enfantin au coin des lèvres. Nous l’avons rencontré à Collioure, dans l’atmosphère si singulière du “5ème Péché” du chef Masashi Iijima. Cédric Le Gall vous donne le sentiment de tout diriger tel un chef d’orchestre aux aguets, prêt à intervenir pour que chaque note reste juste. Et, l’air de rien, il vous glisse quelques anecdotes dont lui seul a le secret : un gâteau géant qui refuse de passer la porte, ou encore une équipe de serveurs qu’il a dû recruter au pied levé pour un dîner d’ambassadeurs. On rit, on reste ébahi, on se surprend à imaginer les coulisses de ces fêtes mémorables. Puis on se reprend : c’est exactement ce qui définit son métier.

À 44 ans, ce Marseillais de naissance, exilé quelque temps à Nantes, n’a pas fini ses études. “Je ne me sentais pas taillé pour l’école, confie-t-il. Et pourtant, aujourd’hui, je m’échine à transmettre ce que j’ai appris sur le terrain.” Un beau paradoxe, gage d’une curiosité insatiable. Mais très vite, sa voie est claire : il aime le contact, la scène, le rapport direct à l’humain. “Dans la restauration classique, je devais vendre un menu. Dans l’évènementiel, tout est déjà choisi, payé, orchestré. Alors je peux me consacrer à ce que j’adore : satisfaire les gens, les faire sourire, et parfois gérer quelques imprévus…” Quelques imprévus, c’est un euphémisme. “Quand tout se passe bien, c’est facile, s’amuse-t-il. Mais c’est quand la situation se corse que l’on voit si l’équipe est solide.” Et de nous narrer ce fameux mariage où, au beau milieu de la nuit, la tente berbère a tout simplement décidé de se faire la malle, emportée par un vent démoniaque. Tables renversées, verres brisés. Tout portait à croire que la soirée allait sombrer. Au lieu de cela, lui et ses troupes ont tout rapatrié dans la salle voisine. Ils ont sauvé la mise, trouvé une nouvelle configuration et la fête a battu son plein jusqu’à l’aube. Ce sens de la fête, il l’a éprouvé lors d’une expérience hors du commun : servir un grand mariage en compagnie de deux géants de la gastronomie, Jean-François Piège et Pierre Hermé. Tout devait être réglé comme du papier à musique, sauf que… Au final, un gâteau de deux mètres de haut est passé de table en table, sous la lumière hasardeuse de phares de combis Volkswagen. “C’est exactement ce que j’adore : à chaque fois, on se retrouve dans une sorte d’épopée, où l’on improvise sans jamais perdre de vue la rigueur. On transpire, mais on fait briller les yeux des gens.” Tout n’a pas toujours été pavé de roses. “J’ai souvent essuyé des refus à mon arrivée dans la région”, se souvient-il. Mais au fil du temps, il construit son réseau, décline ses compétences chez différents traiteurs, et comprend vite que pour répondre à l’ampleur des demandes, il a intérêt à créer sa propre structure. D’où la naissance, en 2018, de Pôle EXTRA, d’abord associatif, puis en SAS. “Pôle EXTRA, ce sont la logistique, l’organisation, la formation et la coordination. On fournit des équipes solides et formées à toutes sortes d’évènements, de la petite réception familiale aux congrès de 3 000 personnes.”

Avec Cédric, on parle beaucoup d’“arts de la table”. Pas ce cérémonial un peu rigide où l’on mesure la distance entre la fourchette et l’assiette, mais un art qui célèbre la beauté du geste, la chaleur d’un accueil, la pertinence d’un sourire. Il les envisage comme un spectacle vivant, parfois sous tension, souvent parsemé de coups d’éclat. Les risques, ditil, n’enlèvent rien au plaisir. Le désir de progresser, de partager, et d’entraîner dans son sillage des équipes entières, voilà ce qui nourrit sa flamme. La formation aussi. “Certains traiteurs acceptent des prestations sans avoir l’équipe adéquate. Résultat, on se retrouve avec des serveurs novices, et ça peut être un risque.” Lui préfère prendre le temps.

Chez Pôle EXTRA, on briefe les jeunes, on leur apprend à porter un plateau, à dresser une table, à adopter la bonne posture. “Et surtout, on insiste sur la sécurité, rappelle-t-il. Une salle mal préparée, un fil électrique qui traîne, un four trop proche d’une zone de passage, c’est la catastrophe assurée.” Et quand on lui demande ce qui le rend le plus fier, il répond du tac au tac : “Toutes ces équipes que j’ai aidées à se construire. Des serveurs timides qui n’osaient pas affronter une salle pleine et qui, quelques mois après, portent trois assiettes d’une main en souriant, sans oublier la table d’à côté.” C’est peut-être là l’empreinte de Cédric Le Gall.

Derrière son costume impeccable et ses gants immaculés, on découvre un grand sensible, un passionné d’instants rares. Et c’est sûrement ça, la clé : à ses côtés, on a envie de lever son verre, de chanter, de célébrer la moindre occasion, juste pour savourer la vie. Et si jamais le vent s’en mêle, tant mieux : c’est dans la tempête que naissent les plus belles histoires. Et si tout cela semble tenir du miracle, c’est qu’il sait depuis toujours qu’il n’est pas seulement question de “métier”. Il s’agit d’un art, d’un sacerdoce, d’une pulsion de vie. Autrement dit, pas question de s’arrêter.