Carole Delga : “La cuisine catalane est une culture vivante, un moteur de fierté et d’avenir.”

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Engagée, passionnée, gourmande assumée : Carole Delga, Présidente de la Région Occitanie, porte haut les couleurs d’un territoire riche de traditions culinaires, de terroirs d’exception et de savoir-faire vivants. À l’heure où la cuisine catalane rayonne bien au-delà des Pyrénées, elle partage ses souvenirs gustatifs, sa vision de la gastronomie comme moteur culturel et économique, et son rêve d’un futur encore plus savoureux pour notre patrimoine culinaire.

On dit que vous êtes experte du poulet au citron… C’est vrai ? Vous nous livrez votre secret ou est-ce classé confidentiel ?
(Rires) C’est vrai que c’est l’une de mes spécialités maison ! Le poulet au citron, c’est un plat qui m’accompagne depuis longtemps. Il a ce charme du mets à la fois simple et généreux, qui rassemble les convives autour de la table sans chichi. Mon secret ? Un bon poulet fermier, des citrons bio, un peu de thym frais, de l’ail confit et une cuisson très douce au four, presque comme une cocotte provençale. Mais le vrai ingrédient secret, c’est le temps que l’on prend pour le préparer, et l’envie de faire plaisir à ceux que l’on aime. La cuisine, pour moi, c’est d’abord cela : une forme de partage.

Qu’est-ce que vous évoquent les agrumes, très présents dans la cuisine catalane ?
Une saison, une humeur, un souvenir ?
Les agrumes, c’est l’hiver… mais un hiver lumineux. Celui de la Méditerranée, du Roussillon, quand le soleil rase les vergers et que l’air est frais mais rempli de parfums. Ils me rappellent les marchés colorés, les confitures préparées dans les maisons, les desserts familiaux où l’on glisse un zeste de citron ou d’orange pour rehausser une crème ou une pâte. C’est aussi une humeur joyeuse, presque espiègle : les agrumes, ce sont des ingrédients qui réveillent les papilles, qui apportent de la vivacité à un plat. En cuisine catalane, ils jouent un rôle subtil, entre douceur et acidité, comme une ponctuation dans une phrase bien tournée.

Avez-vous un souvenir gustatif lié à la Catalogne ?
Oui, j’en ai plusieurs, mais il y en a un qui reste très présent. C’était un déjeuner d’été à Collioure, dans une petite table familiale. Le plat qu’on nous avait servi n’était pas sophistiqué, mais il avait une profondeur incroyable. On sentait la mer, le savoir-faire du cuisinier, les générations qui avaient transmis cette recette. C’est cela, la magie de la cuisine catalane : une émotion brute, enracinée, sans esbroufe.

Si vous deviez résumer la cuisine catalane en quelques mots… lesquels choisiriez-vous ?
Je dirais : identité, caractère, diversité et générosité. C’est une cuisine qui assume pleinement ses racines, mais qui reste ouverte aux influences. Elle est profondément méditerranéenne, marquée par les produits de la mer et les cultures du Sud, mais elle a aussi une dimension montagnarde, terrienne. Elle sait être frugale ou festive, sophistiquée ou populaire. Mais elle parle toujours avec sincérité.

Comment la Région Occitanie accompagne-t-elle aujourd’hui les artisans du goût, les chefs, les producteurs ?
Depuis plusieurs années, nous avons fait de l’alimentation l’une des priorités régionales. Cela passe par un soutien fort à l’agriculture de qualité, aux filières bio, aux circuits courts. Mais également par un accompagnement spécifique aux professionnels des métiers de bouche : formation, transmission, modernisation des outils, aide à l’installation. Nous soutenons les AOP, les IGP, les événements gastronomiques locaux. La Région est aussi pleinement mobilisée pour préparer l’avenir. Cela concerne notamment une meilleure gestion de l’eau, avec notre soutien à 30 projets prioritaires en matière d’irrigation agricole. Ou encore notre action pour développer les circuits courts avec notre centrale d’achat “Occit’Alim”, qui vise à simplifier et accroître l’approvisionnement enproduits locaux, de qualité et bio en restauration collective, et qui donne la possibilité aux producteurs d’être rémunérés au juste prix. Le Salon régional de l’agriculture est en outre l’occasion de mettre à l’honneur notre marque régionale Sud de France-l’Occitanie. Véritable outil de développement économique avec plus de 15 000 produits et près de 2 000 entreprises, elle permet, depuis 19 ans, de soutenir les producteurs, les viticulteurs ainsi que les entreprises de notre territoire, et de favoriser le consommer local.

En quoi la cuisine catalane est-elle, selon vous, un levier culturel et économique pour le territoire ?
C’est une force identitaire et un levier d’attractivité majeur. La gastronomie catalane ne se limite pas à l’assiette : elle est liée aux paysages, à la langue, à l’histoire, aux savoir-faire. Elle attire les touristes, valorise les produits du terroir, stimule l’économie locale, crée des emplois dans la restauration, l’agriculture, l’artisanat. Elle participe aussi à la cohésion sociale : elle rassemble, elle raconte quelque chose de nous. Et elle donne envie de s’installer, d’entreprendre ici. C’est un atout stratégique à tous les niveaux.

L’association des Toques Blanches contribue à faire rayonner les terroirs : qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je vois dans les Toques Blanches un collectif d’ambassadeurs passionnés et exigeants. Ils sont au croisement du patrimoine et de l’innovation. Ils défendent les produits de nos territoires avec fierté, les subliment avec talent, et surtout ils les transmettent. Leur rôle est essentiel dans cette chaîne du goût qui va du champ à l’assiette. Ce sont des acteurs de terrain qui, par leur engagement, participent au rayonnement de l’Occitanie bien au-delà de ses frontières.

Comment la Région accompagne-t-elle aujourd’hui la transmission de ces savoir-faire, notamment auprès des jeunes générations ?
C’est un axe fort de notre politique. Nous investissons dans les lycées hôteliers, les CFA, les formations agricoles et artisanales. Nous soutenons par ailleurs des projets pédagogiques dans les lycées autour de l’alimentation durable et locale. Avec des initiatives comme “L’Occitanie dans mon assiette”, nous mettons en valeur les produits régionaux dans les cantines tout en éduquant les jeunes au goût. C’est par la découverte, le contact avec les producteurs, les chefs, les gestes du métier, que l’on suscite des vocations et que l’on perpétue nos savoir-faire.

Comment voyez-vous l’évolution du patrimoine culinaire régional dans un contexte de mondialisation et de transitions écologiques ?
La mondialisation a parfois nivelé les goûts, mais elle a aussi renforcé l’envie de retrouver du sens, du local, du vrai. Dans ce contexte, nos traditions culinaires apparaissent comme des ressources d’avenir. Elles portent des valeurs de sobriété, de saisonnalité, de respect du vivant. De plus, ce sont des modèles de développement durable. Le défi, c’est de faire vivre cette cuisine en la rendant accessible, tout en maintenant son exigence. Et de la faire évoluer sans la dénaturer. Plus généralement, nous devons continuer à nous mobiliser pour que des solutions soient apportées afin de concilier agriculture, protection de l’environnement et revenus dignes. C’est le combat que je mène depuis plusieurs années. Il faut que les spécificités de notre agriculture soient reconnues à Paris et à Bruxelles. Je continuerai à me battre pour redonner de la confiance et de la reconnaissance à nos agriculteurs, viticulteurs, éleveurs et pêcheurs, à nos concitoyens qui travaillent au quotidien pour nous nourrir, tout en assurant notre souveraineté alimentaire.

À quelle table aimeriez-vous emmener un visiteur étranger pour lui faire comprendre l’âme de l’Occitanie catalane ?
Je l’emmènerais dans un petit restaurant familial des Pyrénées-Orientales, entre mer et montagne, où l’on cuisine des produits de saison, issus du jardin ou de la criée. Je pense à un repas sous une treille, avec une tapenade maison, un poisson grillé aux herbes, un verre de Collioure blanc… Ce serait une table sans prétention, mais pleine d’âme. Parce que l’Occitanie, c’est avant tout une terre d’authenticité et de partage.

Si vous pouviez faire découvrir un plat catalan au monde entier, lequel choisiriez-vous ?
Plutôt qu’un plat, je choisirais de faire découvrir la richesse des produits : les artichauts violets de Perpignan, les abricots du Roussillon qui bénéficient d’une IGP, les tomates “Cœur de bœuf” catalanes, gorgées de soleil. Côté produits de la mer, les anchois de Collioure, à la saveur puissante mais raffinée, une véritable institution. Préparés artisanalement, ils bénéficient eux aussi d’une IGP. Je peux citer également la charcuterie catalane, ainsi que les fromages de brebis et de chèvre des Aspres ou du Conflent. Sans oublier les vins : Banyuls, Rivesaltes…

Quel serait votre prochain rêve pour la cuisine régionale ? Un événement, une labellisation, un projet ?
Je rêve d’une grande fête régionale du goût, itinérante, qui ferait dialoguer les chefs, les artisans, les producteurs, les élèves des lycées, les familles. Une sorte de festival populaire et savant à la fois, qui valoriserait nos cuisines, nos produits, nos talents. Et à plus long terme, pourquoi ne pas inscrire certaines de nos pratiques culinaires – comme les marchés de producteurs, les recettes ancestrales, les rituels de table – au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO ? Cela enverrait un signal fort sur la valeur de ce que nous avons entre les mains.